KINZONZI
Réinvestir les perspectives
« De tous temps, l’artiste au Congo, dans ses communautés politiques pré-coloniales comme dans sa marginalité coloniale et post-coloniale, a dévisagé et manoeuvré le politique, c’est-à-dire la vie et son encadrement, son exploitation, son orientation, ses perspectives et ses latitudes. En comparaison, l’art pour l’art est né de l’ennui et des
connivences dans l’embourgeoisement des créateurs, alors qu’en ce cas de figure les urgences existentielles oppressent encore et secouent littéralement le corps comme l’esprit. » 1
Sinzo Aanza décrit ici, à la manière de Manuel Arturo Abreu dans « Against the Supremacy of Thought », la production et la considération occidentale de l’art comme autoréférentiel avec un accent ou « fétichisme » (Abreu) pour une « pensée philosophique objective » :
« Est-ce que cela signifie, alors, que l’art donne de la valeur à la pensée et à l’esthétique de la pensée, comme la criticité, le désinvestissement du monde sensoriel et un comportement d’objectivité philosophique ? L’Occident blanc a utilisé ces mêmes critères pour déshumaniser le Sud global et faciliter l’expansion de l’euro ; dans un contexte
spécifiquement esthétique, le modernisme lui-même reposait sur le butin de la conquête impériale. »2
La déshumanisation des gens de couleur, comme instrument de domination occidental, pour justifier sa propre violence et son inhumanité et la représentation d’autres cultures est une longue tradition de l’art européen.
D’une perspective postcoloniale, Edward Said définit l’esthétique spécifique de l’impérialisme comme une projection des fantaisies imaginaires occidentales comme une exploitation esthétique de l’étranger dans l’empire de production culturelle occidentale.
L’art moderne est inconcevable sans l’aspiration de l’art africain, mais il revendique seul l’avant-garde : dans l’histoire de l’art, les artistes du continent africain ne se voient souvent attribués que la primitivité, l’originalité et le pouvoir mystique. Un mécanisme similaire peut être trouvé dans la production artistique contemporaine à Kinshasa et sa représentation et perception sur le plan international.
Laboratoire Kontempo se voit comme un laboratoire pour les interactions, les processus de négociation et les conflits. Un espace dans lequel des perspectives aux multiples couches, des pratiques et des concepts ont un espace. La collaboration est ainsi une stratégie importante de la décolonisation. Les Nzonzi 3 vont tabler sur le comment, le
pourquoi, le quand et le où « Réinvestir les perspectives » dans divers domaines de la vie actuelle. Une déconstruction, à travers les outils de Kinzonzi, de ce que Pierre Bourdieu appelle : « la violence symbolique ou « l’institutionnalisation d’un pouvoir méconnu. Ce pouvoir qui parvient à imposer des significations comme légitimes en
dissimulant les rapports de forces qui le sous-tendent »4
Depuis l’indépendance, des structures collectives informelles ont émergé dans la République démocratique du Congo, qui peuvent, et doivent, constamment s’adapter aux changements sociaux rapides et aux incertitudes. Aujourd’hui, avec la pandémie et la mondialisation, ces formes de collectivité, de résilience et d’adaptabilité sont plus
pertinentes que jamais. À partir de cela, des stratégies artistiques et des formes expérimentales de présentations spécifiques ont été développées à Kinshasa, caractérisées par la spontanéité, la flexibilité et la versatilité. Le Laboratoire Kontempo 2021/22 demande comment cette versatilité hybride peut être utilisée comme une forme mobile de la vie et comme stratégie artistique en temps de crise.
Et puis, comment les artistes contemporains kinois peuvent-ils ou peuvent-elles s’imposer au monde de l’art contemporain international en défendant et développant leurs propres approches ? Comment ces artistes peuvent-elles ou peuvent-ils participer à la numérisation sans que l’accès limité à l’Internet et le développement technique à Kinshasa ne soient un frein ?
Subséquemment, les oeuvres seront présentées à Kinshasa ainsi qu’à Berlin.
En fonction de la situation de la COVID-19, soit dans le cadre d’une exposition avec des interventions dans les espaces urbains de Kinshasa et de Berlin, ou dans des formats en ligne. Les projets individuels seront développés conjointement entre Berlin et Kinshasa, et les oeuvres artistiques et discursives seront créées de manière processuelle au cours du projet. Dans les deux villes, la présentation du projet comprend une approche de
performance dans les espaces urbains, une approche discursive, sous la forme de rondes de discussions, et une exposition des oeuvres résultantes. Si les voyages ne sont pas permis à cause de la pandémie de COVID-19, le projet sera complètement déplacé dans l’espace virtuel.
Le Laboratoire Kontempo est un projet fondé par le duo congolais/allemand
Mukenge/Schellhammer à Kinshasa en 2019.
_____________________
1 Sinzo Aanza, https://labkontempo.com/en/sur-le-projet/
2 https://rhizome.org/editorial/2018/jan/08/against-the-supremacy-of-thought/
3 Participants (artistes et théoriciens) au Kinzonzi
4 Voir Bourdieu.P., Passeron.J-C., La Reproduction, Les éditions de Minuit,1970